Contexte de classe :
La classe que je pilotais en stage se trouvait dans la magnifique ville de Joliette. Il s'agissait d'un niveau multiple où des enfants de troisième année apprenaient avec des enfants de quatrième année. L'école, Les Mésanges, se trouve dans un milieu assez défavorisé de la région et sa clientète y est multiethnique. L'acquisition et la maîtrise du français se faisait donc à pas de tortue. Les travaux de composition des élèves semblaient très laborieux. Durant mes journées d'observation, j'ai remarqué que les élèves n'avaient pas nécessairement la chance d'écrire et de lire quotidiennement. Cependant, les élèves semblaient très curieux et étaient grandement désireux de nous raconter des anecdotes quelconques ou de participer à des discussions.
La recherche d'idée et le projet:
En observant les lacunes au niveau du français chez mes élèves, il était indéniable dans mon esprit que j'allais travailler cette matière. Il me fallait donc trouver une idée de projet ou un concept qui allait autant toucher mes troisièmes que mes quatrièmes année et qui amènerait les élèves à écrire quotidiennement. Trouver l'idée fut assez difficile. J'ai commencé par penser que nous pourrions écrire un livre. Je trouvais que ce projet ne répondait pas aux besoins de mes élèves qui était d'écrire quotidiennement sur une longue période. Ensuite, je voulais faire de l'écriture interactive, écrire dans tous les styles, faire un journal de classe et encore plus. Je m'arrachais littéralement les cheveux de la tête.
Un jour, une petite fille est venue me voir à mon bureau. Elle a demandé à me voir, seul, afin de parler d'une situation fâcheuse qui s'était produite dans la cours d'école. J'ai alors réalisé que plusieurs élèves aimaient se confier à moi et qu'ils demandaient justement à ce que nous discutions afin de régler des problèmes. Le déclic fut instantané : j'avais trouvé mon projet. J'allais maintenant créer, avec les enfants, un système de communication entre l'élève et l'enseignant.
Mon projet était fort simple : réaliser un journal interactif dans lequel les élèves m'écriraient sur n'importe quel sujet et attendraient une réponse de ma part. Il n'y aurait aucune restriction quant au nombre de lignes à m'écrire ou encore le sujet sur lequel les élèves devaient s'inspirer. Ce serait eux les maîtres du jeu du début jusqu'à la fin. Si ces derniers voulaient écrire une histoire, ils le faisaient. Si, au contraire, ils voulaient me parler d'un problème à la maison, ils le faisaient. S'ils voulaient écrire une chanson, un poème ou faire une recherche, ils le faisaient. Si les élèves voulaient me poser des questions, ils pouvaient le faire. Finalement, si les élèves vivaient un conflit à la récréation, je leur demandais de me le présenter d'abord par écrit dans leur journal si ce dernier n'était pas d'une importance capitale.
Il est important de noter que les élèves pouvaient écrire dans leur journal quand ils le désiraient (surtout dans les routines). En plus, une période le mercredi était spécifiquement réservée à l'écriture dans le journal. Ensuite, je n'obligeais pas les élèves à utiliser leur lourd code de correction. Les élèves pouvaient me donner leur journal à tout moment et ils attendraient alors ma rétroaction écrite avant de réécrire à l'intérieur.
Mes rôles:
Bien que les élèves avaient beaucoup de liberté quant à la forme de leurs écrits, je ne les laissais pas seuls tout au long du processus. Dans les périodes où je les laissais écrire dans leur journal, je circulais dans les rangés en distribuant une pléiade d'encouragements. De plus, je me promenais avec un crayon de plomb, et non pas à l'encre, afin d'aider les élèves à corriger certaines fautes. Lorsque les élèves me donnaient leur journal, le gros de mon travail commençait. Je lisais chaque phrase et chaque mot de chaque journal. Si un élève me parlait de ses passions, je lui écrivais un message à la suite de son texte en lui posant soit des questions ou en lui parlant de mes propres passions. Si un élève me parlait d'un conflit, je lui répondais en lui donnant des pistes qui pourraient lui servir à régler ses problèmes. Si un élève m'écrivait une histoire, je lui donnais soit une rétroaction ou je continuais son histoire (les élèves aimaient énormément). Dans tous les cas, je tentais de donner des conseils individualisés sur l'orthographe, la syntaxe ou la ponctuation des élèves. Si je voyais qu'un élève avait de la difficulté avec ses gestes du pluriel, je lui en glissais un mot. Mes écrits étaient souvent beaucoup plus volumineux que ceux des élèves. Cela rendait mes élèves bien fiers et ils lisaient chacun de mes commentaires attentivement.
Pour quantifier mon travail et pour situer les personnes qui voudraient peut-être mettre en oeuvre un projet semblable, je mettais en tout et pour tout un bon quatre heures par semaine à répondre à mes élèves dans leurs journaux. Pour un texte d'une page d'un élève, j'en écrivais environ l'équivalent ou un petit peu plus.
Réactions des élèves et résultats du Pic:
Lorsque j'ai initié le projet, j'avais peur que les élèves, ayant trop de liberté, ne sachent pas quoi écrire. J'ai donc pris deux périodes au début de mon Pic afin de les encadrer davantage. Je leur disais qu'ils pouvaient écrire sur le sujet qu'ils désiraient. Toutefois, si je savais qu'un élève avait davantage l'esprit de recherche, je pouvais le diriger vers des écrits plus informatifs. Ensuite, si un élève était plus artistique, je le dirigeais vers le poème. Cela n'a pas pris deux jours et tous les élèves étaient à l'aise avec la formule. Ma première semaine fut très éprouvante : tout le monde voulait écrire dans leur journal et avoir des rétroactions de ma part afin de continuer à écrire. Si, au début, je recevais davantage de petits récits de fin de semaine et de petits conflits de cours de récréation, les textes des élèves se sont progressivement mis à s'allonger. Les recherches que les élèves faisaient étaient plus poussées, leurs récits étaient mieux structurés et leurs anecdotes plus facilement compréhensibles. Le plus merveilleux dans tout cela, c'est que les élèves érivaient et qu'ils étaient heureux de le faire. Ils étaient aussi d'ailleurs très stimulés par le fait de partager certains secrets avec moi.
Ma plus grande réussite aura sans doute été d'avoir permis à une petite fille de s'exprimer sur un sujet tabou. Cette dernière gardait énormément de frustration en elle puisqu'un de ses parent était en prison. Elle avait aussi vécu des expériences violentes traumatisantes qu'une enfant de son âge ne devrait pas voir. C'était d'une tristesse absolu. Un jour, cette petite que je trouvais turbulente et dont je ne me doutais absolument pas des problèmes m'a écrit dans son journal. Habituellement, elle écrivait environ 5 à 6 lignes. Lorsque j'ai ouvert son journal, j'ai été étonné de voir que deux pages avaient été écrites. Les secrets que contenaient ces pages étaient absolument bouleversants. Grâce à ce journal, cette petite a pu s'exprimer en toute liberté pour la première fois depuis le début de sa scolarité. Un long processus s'en est suivi et de l'aide a pu être apporté à cette élève qui en avait grandement besoin. Encore aujourd'hui, nous avons un lien très spécial qui nous unit.